S'il serait exagéré de parler de chef d'œuvre, on peut (beaucoup) aimer Dernier verre à Manhattan (Isle of Joy), polar tendre et noir de Don Winslow paru en 1996 mais traduit et publié seulement en 2014 en France. Un livre qui fait la part belle au New York de la fin des années 50 et est rythmé par le jazz et ses standards auxquels les chapitres empruntent leur titre.
L'intrigue, policière sur fond d'espionnage, s'inspire de faits réels (comme l'on dit aujourd’hui) que le lecteur averti n'aura pas de mal à identifier. Parce qu'il aime l’Agence mais préfère Manhattan (Shakespeare : « Not that I loved Caesar less, but that I loved Rome more »), Walter Withers démissionne de la CIA pour rentrer à New York et travailler comme enquêteur privé… et se retrouve mêlé à un imbroglio politico-policier qui l’obligera à se frotter au FBI, à ses anciens collègues et à des gros bras au service d'hommes politiques sans scrupules.
Polar d'ambiance, Dernier verre à Manhattan fait une bonne place à la description de milieux aussi différents que la haute société américaine fréquentant le Plazza et le Waldorf ou la Beat Génération de Greenwich Village. On suit donc Withers dans une ville qu’il connait comme sa poche, d'avenues en parcs, de bars en boîtes de jazz, d'hôtels de luxe en garnis sinistres, sans oublier un passage par le stade des New York Giants (les non-familiers du football américain auront un peu de mal avec ce chapitre).
"Toutes les soirées ou presque, ils les passaient en compagnie de la ville. Le plus souvent Walter dînait tôt au Palm, au Dempsey’s ou à l’Amérique puis, parfois, avait le temps de chopper une séance de cinéma à Broadway avant de rejoindre tranquillement le club où Anne se produisait à cette heure-là et d’assister à son dernier set." on Winslow – Dernier verre à Manhattan © Editions du Seuil 2013
Certes l’intrigue est cousue de fil blanc et le final outré mais cela donne un polar urbain vif et enlevé, avec des descriptions gourmandes de New York, des rebondissements, des "bons" récompensés et des traîtres démasqués, de la fureur et du sang. Et New York, toujours… “We’ll turn Manhattan Into an isle of Joy…”