Deuxième opus de la série Duca Lamberti, Ils nous trahiront tous (publié en France lors de sa sortie sous le titre A tous les râteliers, le livre a bénéficié d’une nouvelle traduction en 2010) est un roman réjouissant, découvert très tard pour ce qui me concerne. Il mérite d’être (re)lu pour deux raisons :
1 - Il propose un « héros » atypique, Duca Lamberti, médecin radié de l’ordre et emprisonné pour avoir pratiqué une euthanasie (cf. Vénus privée), un peu enquêteur privé à ses heures mais collaborant volontiers et même étroitement avec la police de Milan avant de la rejoindre officiellement. Duca est un mélange de détective « hard-boiled » ne rechignant pas à pratiquer des interrogatoires musclés quand il s’agit de crapules mais pouvant faire preuve de compréhension voire de compassion quand les suspects s’avèrent être plus victimes que coupables. « Contradictoire, sensible, inquiet, confronté à des choix douloureux » comme le définit Claude Mesplède, c’est un homme honnête (il ne vendra pas son âme pour réintégrer le corps médical) et, finalement assez attachant, malgré un petit côté machiste.
« Elle devait avoir autour de trente-cinq ans, n’était en rien attirante, mais quelqu’un, peut-être par courtoisie, lui avait fait un enfant. » © Rivages/Noir, 2010
2 - La série (quatre romans) même habilement des intrigues solides et une description du milieu social italien et milanais des années 70, abordant des thèmes comme le trafic de drogue et d’armes, la manipulation d’esprits faibles, etc. Avec en fil rouge le rôle de la police et ses difficultés à faire son travail.
« En Italie, le policier prend des coups de tous les côtés, les pavés des grévistes, les balles et les couteaux des braqueurs, le mépris et les insultes des honnêtes citoyens, les accès de colère des supérieurs. Et très peu d’argent de l’État. » © Rivages/Noir, 2010
Ils nous trahiront tous – titre plus conforme au contenu du roman que A tous les râteliers, très « Série noire » et jugé certainement plus vendeur à l’époque – traite de vente illégale d’armes et de mescaline et met en scène une brochette de personnages sans moralité et sans scrupules, prêts à toutes les trahisons, même et surtout quand il s’agit de leurs propres comparses. D’où des rebondissements, des poursuites, des fusillades et des exécutions particulièrement violentes… Le roman revient aussi – dans un flash-back un peu long – sur un épisode de la seconde guerre mondiale qui entraîne un désir de vengeance ; cela arrive un peu abruptement vers la fin du livre, mais comme Giorgio Scerbanenco a du métier (51 romans et 181 contes et nouvelles en moins de quarante ans) il retombe habilement sur ses pieds.
Pas de grandes inventions au niveau d’une intrigue parfois déroutante (cf. supra) et des scènes assez typiques du genre dans Ils nous trahiront tous, mais on retiendra une utilisation adroite des analogies dans l’exécution des trois doubles crimes qui ponctuent le roman (lieux, modus operandi…). Côté ambiance, c’est un roman rugueux, cruel et sombre, alliant modernité – les trafics ne changent pas avec les années – et aspect rétro, années 70 obligent. Giorgio Scerbanenco mérite bien son titre de créateur du roman noir italien.