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A plus de 80 ans d’intervalle Bergerac est le cadre de deux romans policiers qui, s’ils présentent des similitudes – meurtres de jeunes femmes, policier parisien en charge de l’enquête, milieu de notables – différent résolument dans la mise en scène et l'utilisation de l’espace. Après La mariée nue de Patrick Marty (2016), pourquoi donc ne pas lire ou relire Le fou de Bergerac de Georges Simenon, paru en 1932.

L’enquête au centre de La mariée nue entraîne le lecteur sur la traque d’un assassin dans les rues de Bergerac et sur les routes des environs par un duo « flic des villes et flic des champs » plutôt crédible, le second se faisant fort d’initier son collègue fraîchement arrivé de Paris aux charmes du Périgord, à son histoire et à ses spécialités gastronomiques. Nous voici donc face à un foisonnement de détails topographiques et de descriptions. Patrick Marty peaufine les portraits de ses personnages - victime, suspects, témoins ou flics –, fouille leur vie intime, propose des histoires parallèles. Rien ne nous échappe.

Elle longea l’église Notre Dame, avisa l’horloge du clocher qui affichait 19h05. Il lui restait moins d’une demi-heure pour attraper le dernier train pour Sarlat. Elle pressa le pas et prit la dernière ligne droite par le cours Alsace Lorraine qui la menait vers la gare de chemin de fer.

Patrick Marty – La mariée nue, © Fei Polar 2016

Dans Le fou de Bergerac, l'enquête se déroule quasiment à huis clos et à distance (un peu à la manière du Néro Wolfe de Rex Stout), Maigret, blessé, suivant les événements depuis son lit l’hôpital puis de la chambre d’un hôtel où il a pris pension. Nanti d’un guide Michelin et de cartes postales (et aidé par madame Maigret qu’il envoie en reconnaissance), il est amené à construire sa propre perception de la ville : « Maigret ne connaissait ni la ville, ni la gare, ni aucun des endroits dont les gens lui parlaient. Et pourtant il avait déjà reconstitué en esprit un Bergerac assez précis, où il ne manquait presque rien. ». Il rend ainsi le lecteur familier des lieux – la place du marché, la maison du procureur, la villa du docteur – et attentif aux bruits qui ponctuent la journée, le bavardage des ménagères faisant leurs courses, des ouvriers sortant d’une imprimerie, le bruit des boules de billard dans la grande salle de l’hôtel à l’heure de l’apéritif.

Il n’avait besoin d’aucun effort pour imaginer la villa du médecin, la maison sombre du procureur. Lui qui éprouvait une telle volupté à aller respirer des atmosphères !

Georges Simenon, Le fou de Bergerac, © Fayard 1932

Deux visions de Bergerac donc : l’une à travers le seul regard de Maigret pour qui l’observation est un accès privilégié à la compréhension, l’autre par un auteur omniscient pénétrant l’intimité de tous ses personnages et soucieux de décrire exhaustivement leur environnement.

On trouve dans les deux romans l’opposition entre la province et Paris. Moins négatif que Balzac, pour qui la province « se moque des nouveautés, ne lit rien et veut tout ignorer : science, littérature, inventions industrielles » (La vieille fille), Simenon reste sévère avec les habitants de Bergerac, coupables à ses yeux d’ourdir des projets obscurs ou de cacher des secrets inavouables, protégés par une atmosphère feutrée et sournoise : « Tout cela formait un clan ! Cela se soutenait ! ». Patrick Marty va aussi dans ce sens, avec ses notables libertins s’abritant derrière une respectabilité de façade.

La perception de Bergerac diffère pourtant avec d'une part un flic sans regret d’avoir quitté la capitale pour une ville qu’il finira par trouver attachante et à l’inverse, un Maigret si heureux de regagner Paris qu’il en devient presque grossier : « Pour aujourd’hui, enfin, des truffes en serviette, du foie gras du pays… Et l’addition !... On fout le camp ! ».

Tag(s) : #Maigret, #Policiers, #Polar rural
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