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Que serait le roman policier sans la ville ? Dans le roman d'énigme classique (whodunit) sur lequel ont longtemps régné Conan Doyle et Agatha Christie, un manoir ancestral ou un cottage anglais avec un colonel de l'armée des Indes,  une vieille fille et des rideaux de cretonne suffisaient à camper le décor. Les scénaristes et réalisateurs de séries TV comme Inspecteur Barnaby l’ont bien compris. Mais il s'agit là d’une autre époque : depuis l’avènement du roman noir (ou polar), que l’on peut situer en France à la création de la Série noire chez Gallimard en 1945 par Marcel Duhamel, la ville a trouvé sa place : Los Angeles ou San Francisco chez Raymond Chandler ou Dashiell Hammett, New York chez Chester Himes...

En France, si l’on excepte Georges Simenon, qui crée le personnage de Maigret avant la Seconde guerre mondiale et prend Paris pour scène de crime dès 1931 avec Pietr le Letton, il faut attendre la publication des premiers volumes des Nouveaux mystères de Paris de Léo Malet juste après la Libération pour que la ville occupe la place qui est depuis la sienne avec les auteurs français publiés à partir des années 50 : Jean-Pierre Manchette, Jean-Pierre Bastid puis Thierry Jonquet (Paris), Jean-Claude Izzo (Marseille) et ADG (Tours) par exemple.

Viendront ensuite les pays du sud (Manuel Vasquez Montalban et Barcelone, Andrea Camillieri et Vigata, Dona Leon avec Brunetti et Venise) et du nord de l’Europe (Matti Yrjänä Joensuu et Helsinki, Arnaldur Indriðason et Reykjavik, Henning Mankell et Ystad, etc.), sans oublier Alexandra Marinina et Moscou. Un long chemin parcouru si l’on se souvient que le roman policier fut longtemps cantonné aux Etats-Unis, à l’Angleterre ou à la France.

La ville devient ainsi un élément essentiel du roman policier où, à l'origine simple cadre de l’histoire, elle occupe une place croissante. Simenon, suivant en cela Balzac qui fut l’un des premiers à faire de la ville une partie intégrale du roman, excelle à décrire l’ambiance urbaine, faisant de ses romans, policiers comme "durs", une plongée dans l’environnement quotidien de gens de tous milieux et de toutes classes sociales.

Le roman noir s’est ainsi progressivement transformé en roman policier sociologique, délaissant parfois (trop au goût de certains) son but originel (trouver la solution du mystère et donc le coupable) au profit d’un ancrage fort dans le décor, d’une immersion du lecteur dans un monde décrit ou inventé (la Vigata de Camillieri est une ville de fiction, tout comme Isola chez McBain, même elle est fortement calquée sur New York)). Soucieux de décrire avec minutie un univers spécifique, l’auteur de polars se comporte alors plus en journaliste qu’en créateur d’intrigue, ce qui ne surprendra pas ceux qui se souviennent que Simenon, Montalban, Larsson et d’autres ont exercé ce métier.

Et ils n’étaient pas toujours d’accord. Mais ils avaient toujours partagé l’idée que le travail policier consistait, en dernier recours, à sentir l’air du temps. A interpréter les changements, à sonder les mouvements à l’œuvre dans la société.

Henning Mankell – La cinquième femme © Editions du Seuil 2000

Le roman policier se renforce donc en informations sociales de toutes sortes et fait la part belle au regard du personnage central (policier, détective, journaliste) sur la ville et sa réalité, regard que nous essayons de retrouver dans les articles de ce blog.

Disons simplement que le roman noir a la volonté de foutre le bordel, de braquer la lumière sur ce qui ne va pas. Le social est la première de ses préoccupations. Alors que le roman à énigmes, en général, s’attache avant tout à résoudre un mystère, et donc plutôt à rassurer le lecteur.

François Guérif. Du polar (Entretiens avec Philippe Blanchet) © Payot & Rivages/Noir 2016

C’est un genre qui permet la critique sociale, le regard sur l’époque, tout en acceptant la stylistique. Il y a de tout dans le polar, et pas seulement des flics et de la viande au plafond. On peut y trouver de la dérision et de l’humour, de l’idéologie politique et des recettes de cuisine, des amours à faire pleurer (ou rêver) et, surtout, des détails ethnographiques de première bourre.

Jean-Bernard Pouy à propos du polar

Tag(s) : #Policiers, #Détectives
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