La vingt cinquième enquête de Guido Brunetti est un cold case : quinze ans après que sa petite-fille soit restée infirme après être tombée dans le canal San Boldo, une vieille comtesse vénitienne amie du commissaire demande à ce que la justice ouvre à nouveau le dossier. Les choses se compliquent quand le seul témoin de l’accident – un ivrogne qui semblait subitement avoir retrouvé la mémoire - est retrouvé poignardé. L’occasion pour Brunetti de faire équipe avec sa collègue Claudia Griffoni, préférée cette fois-ci à Vianello (on comprendra pourquoi à la fin du roman) et d’échapper à la routine - la découverte d’un bordel clandestin chinois et la mort d’un touriste étranger tombé d’une Altana – et aux coups bas de certains membres de la questure qui ne lui veulent pas que du bien.
Minuit sur le canal San Boldo (The waters of eternal youth, 2017) est une enquête classique et plutôt tranquille ; Brunetti prend son temps, traîne dans les cafés à interroger clients et patrons devant un verre de blanc (prendrait-il les habitudes de Maigret en vieillissant ?), lit Apollonios de Rhodes (les Argonautiques) et va canoter du côté du Lido avec son vieux pote Lolo. Un peu comme s’il craignait de découvrir une vérité dérangeante. Cela ne l’empêchera pas de confondre le coupable après un interrogatoire « à la chansonnette » d’anthologie mené en duo avec la commissaire Griffoni.
Il alla retrouver Apollonios de Rhodes, abandonné sur sa table de nuit. Quels meilleurs compagnons, au moment du crépuscule, que Jason et les Argonautes? Il les avait toujours vus comme des copains de lycée : aucun d’entre eux n’était trop sérieux, ou trop adulte, et ils étaient tous en quête d’aventure. Mais, avant d’en arriver à leurs aventures, Brunetti dut se coltiner toutes les interminables généalogies des personnages, majeurs et mineurs, tout comme celles des dieux et des déesses ~ avec toujours les mêmes rôles, et toujours les mêmes faiblesses.
Comme souvent, Dona Léon sort de l’enquête policière pour livrer ses réflexions sur des sujets comme la protection du patrimoine vénitien (en péril, ce qui n’est hélas pas nouveau), la construction de logements sociaux dans la Sérénissime (pas toujours attribués aux plus modestes…) ou l’immigration (y aurait-il de bons et de mauvais immigrants?). Sous couvert des enquêtes du commissaire, elle continue ainsi roman après roman à peaufiner le portrait de Venise et de dénoncer par Brunetti et Vianello interposés certains des errements que connaît l’Italie. Cela un peu au détriment des énigmes, que je ne trouve pas gagner en originalité ni en rigueur au fil des années.
Mais quel guide touristique ! Chaque nouvel épisode est l’occasion de découvrir de nouveaux lieux. On peut donc oublier le Grand Canal et la place Saint Marc (ses pigeons) et, livre en main, aller prendre un café vers le Pont des Grecs, près de la questure (en fait le commissariat depuis lequel Brunetti peut admirer San Lorenzo), voir à quoi ressemble le rio San Boldo ou, pourquoi pas, les gazomètres proches du rio Marin. Dépaysement garanti.
Cannaregio, Venise. 8 mai 2019