Dès les premières pages, le décor (Londres, ses beaux quartiers et l’Old Bailey) est planté et les protagonistes (riches, chics, élégants, intelligents et si sympathiques… même le suspect) identifiés. Certains sont d’ailleurs bien connus des fidèles d’Anne Perry puisque Le manoir d’Alderney (Triple Jeopardy, 2018) est le deuxième roman, après Un innocent à l’Old Bailey (Twenty-one days, 2018) mettant en scène Daniel Pitt, le jeune avocat fils de Sir Thomas et de Lady Pitt. L’intrigue est assez simple : Philip Sidney, un jeune agent de l’ambassade du Royaume-Uni à Washington est accusé d’agression sur la personne d’une jeune héritière américaine, de vol, puis de détournement de fonds. Le suspect, inculpé dès son retour à Londres, est défendu par Daniel.
Le dossier est assez mince car l’accusation contre Sidney ne repose que sur un témoignage pour ce qui concerne le vol et sur des documents contestables pour les malversations. Il n’en accapare pas moins toute l’attention et les conversations de la famille Pitt, les parents et Daniel, mais aussi sa sœur, en vacances à Londres avec son mari, un policier américain. Cela nous vaut, un peu comme à l’opéra ou au théâtre, des duos, des trios, des apartés… qui n’auraient rien de dérangeant si le contenu des échanges ne se limitait pas à la question de savoir si le témoignage est recevable et si Philip Sidney est coupable ou non des faits qui lui sont reprochés. Bref, après 200 pages, les choses n’ont guère avancé jusqu’à ce que l’on apprenne qu’un meurtre a été commis, qui pourrait avoir un lien avec l’affaire. Jusque là tout a été dit sur la quatrième de couverture et le lecteur se demande s’il n’aurait pas pu faire l’économie des quinze premiers chapitres !
Il faut attendre la page 223 pour qu’une nouvelle accusation soit formulée au détour d’une conversation, sans aucune espèce de preuve pour l’étayer. Mais cela est suffisant pour susciter enfin l’intérêt du lecteur qui commence à se faire une idée des motivations (obscures) derrière toute cette histoire. La suite est un peu plus tonique et l’enquête du jeune Pitt est de son amie Miriam sur une des îles anglo-normandes est bien menée et convaincante. Le retour à Londres et au tribunal permettra de faire éclater la vérité jusqu’à un final dramatique.
Je suis resté toutefois assez perplexe devant la démonstration de Daniel Pitt, certes talentueuse, mais peu convaincante : fournir les éléments de résolution d’une enquête sans se soucier d’apporter des preuves et asséner des informations de dernière minute comme si elles sortaient d’un chapeau contrevient à toutes les règles du genre. Le manque de rigueur et les approximations auxquelles ne nous a pas habitués l’auteur peuvent laisser perplexe.
Mes lectures d’Anne Perry remontaient à quelques années et j’en avais gardé un très bon souvenir, surtout pour les enquêtes de Monk. Son dernier livre hésite entre le roman judiciaire (quelques pages intéressantes sur le déroulement du procès) et le roman policier (l’enquête sur l’île d’Alderney) et traîne en longueur après avoir mis un temps infini à démarrer. Qui plus est, les discussions entre les membres de la famille et leurs amis – même si elles posent la question de la véracité et de la crédibilité des témoignages – sont interminables et se résument le plus souvent à des considérations sur la loyauté familiale et amicale. Bref, je me suis assez ennuyé, mais Le manoir d’Alderney ravira certainement les inconditionnels d’Anne Perry.