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Jerry Pinto est un écrivain indien originaire de Goa (comme l’un des protagonistes de Meurtres à Mahim) reconnu dans son pays. Son deuxième roman traduit en français commence par un crime sordide dans un lieu sordide : un homme est découvert mort dans les latrines publiques de la gare de Matunga, dans le quartier de Mahim, à Bombay, lieu de rencontres homosexuelles clandestines. Non seulement la victime était gay mais son meurtrier lui a prélevé un rein. Un double mystère pour l’inspecteur Shiva Jende qui sollicite l’aide de son ami d’enfance Peter Fernandes, journaliste en rupture de journal.

L’enquête va de révélations en rebondissement. Vivant dans la crainte permanente de tomber sous le coup de l’article « Section 377 » du Code pénal criminalisant l’homosexualité, la communauté gay de Bombay vit dans une quasi-clandestinité et est régulièrement victime de prédateurs se livrant au chantage et à l’extorsion de fortes sommes. Une pratique privilégiée par certains policiers qui abusent de leur position pour compléter grassement leurs salaires. Tout se complique quand le premier assassinat est suivi d’autres événements tragiques : le meurtre appelle la vengeance qui, à son tour, est responsables de nouvelles morts.

« - Amon avis, tu ne sauras jamais qui a assassiné ce garçon. Tout le monde s’en fout d’un mec pareil. Qui accepterait de faire un boulot aussi dégueulasse ! Rester dans les chiottes à exhiber sa bite en public pour tendre un piège à de pauvres homos… Tu sais comment ils les appellent, à New York, ces vendus ? Les Dirty Gays, les gays pourris. Il le faisait sans doute parce qu’il n’était pas foutu de trouver un autre boulot. Il devait être pauvre. Dans ce pays, quand un miséreux crève, qui s’en préoccupe ? »

Meurtres à Mahim est un roman policier classique mais efficace, réaliste sans jamais tomber dans la complaisance ou le sordide. Jende et Fernandes mènent leur enquête avec rigueur, privilégiant les interrogatoires de témoins et le travail sur le terrain, au prix de visites nocturnes autour de la gare de Matunga chez les adeptes du cottaging. Le duo fonctionne bien et est tout à fait convaincant. Sans aller jusqu’à parler d’empathie, le policier comme l’ex-journaliste n’ont pas d’idées reçues sur un milieu qu’ils vont progressivement découvrir, même si Peter et son épouse Millie se posent des questions quant à la possible homosexualité de leur fils unique Sunil.

On adhère donc facilement à cette plongée dans la communauté gay et à une histoire de double vengeance qui ressemble à « une tragédie grecque qui se déroulerait dans les toilettes publiques de Bombay ». L’environnement est largement pris en compte et Jerry Pinto ne fait pas l’impasse sur les conditions de vie dans une ville de dix-huit millions d’habitants, où la promiscuité empêche toute intimité et conduit les plus vulnérables à commettre l’irréparable quand ils ne peuvent atteindre la vie meilleure et l’ailleurs dont ils rêvent. Avec ce premier polar, très réussi, les éditions Banyan confirment leur position dans la diffusion en France de la littérature indienne classique et contemporaine.

Meurtre à Mahim, trad. fr. de Murder in Mahim (2018), Paris, Banyan, 2021.

Tag(s) : #Inde, #Gares, #Policiers
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