Ceux qui connaissent Amaia Salazar depuis la Trilogie du Baztan (Le gardien invisible, De chair et d’os, Une offrande à la tempête) la retrouvent quelques années auparavant alors qu’elle a été sélectionnée par la Police forale de Navarre pour suivre une formation de profileuse au siège du FBI. Séduit par ses capacités d’analyse et par sa perspicacité, l’agent Dupree l’intègre à son équipe, lancée sur la trace d’un tueur en série recherché pour plusieurs meurtres de familles entières. Alors que l’étau se resserre, l’ouragan Katrina frappe le sud des États-Unis, engloutissant La Nouvelle-Orléans sous les eaux et contraignant des milliers de personnes à fuir. Des circonstances parfaites pour un tueur insaisissable qui semble privilégier les catastrophes naturelles pour passer à l’acte.
Préquelle (antépisode) de la trilogie, La face nord du cœur s’articule autour de trois grands thèmes : l’enquête principale sur le tueur en série, l’évocation de l’enfance d’Amaia au Pays basque et à Elizondo en particulier, le retour sur une enquête non résolue quelques années auparavant impliquant Dupree, originaire d’une Louisiane dont il connait parfaitement les coutumes et les secrets. Le roman se partage alors entre l’approche réaliste de la recherche d’un criminel, rendue particulièrement difficile par le chaos qui règne dans la ville, et l'évocation onirique (et inquiétante) de croyances à la limite du surnaturel, qu’elles concernent les bayous de Louisiane ou les sombres montagnes de Navarre. Qu’il soit question des traiteurs cajuns ou des sorcières de Zugarramurdi, on comprend que le courant passe entre l’Américain et la Navarraise.
On retrouve dans La face nord du cœur le personnage complexe qu’est Amaia, enquêtrice méticuleuse aux intuitions fulgurantes, habile à utiliser ses connaissances des coutumes de la Navarre, l’usage par exemple d’enterrer les enfants mort-nés sous la protection de l’avant-toit de la maison, dans le « couloir des âmes » (itxusuria) puisque la terre consacrée des cimetières leur est interdite. Elle s’en souviendra pour retrouver un corps loin d’une scène de crime. C'est cela qui la rapproche de Dupree, doté d’un esprit tout aussi logique mais sensible lui aussi à la force des croyances. Leur équipée au plus profond des bayous (où l’on s’attend à tout moment à croiser Dave Robicheaux) à la recherche de jeunes filles enlevées est sur ce point époustouflante, tant il est difficile de séparer ce qui appartient au réel de ce qui émane du vaudou et des maléfices du Baron Samedi. Dolores Redondo excelle dans ce type de récit mêlant intimement le réel et le magique, sans que celui-ci l’emporte vraiment lorsqu’il s’agit d’apporter une réponse aux agissements de criminels. On peut la rapprocher en ce sens de de Fred Vargas (ce que fait l’éditeur) avec qui elle partage également la création de personnages complexes hantés par des craintes et des traumatismes enfouis au plus profond d’eux-mêmes.
Entre enquête « classique » de procédure, thriller et roman policier ethnologique, La face nord du cœur alterne le récit d’événements en temps réel avec des épisodes dramatiques de l’enfance d’Amaia. Le résultat est assez convaincant, même s’il pèche par un côté un peu systématique et si l’on peut reprocher à l’auteur de privilégier ces retours en arrière (procédé déjà utilisé dans la Trilogie du Baztan) au détriment de l’enquête proprement dite. Mais le roman bénéficie d’une construction rigoureuse, riche de détails sur les habitudes locales, précise dans la description de la catastrophe qui frappe la Louisiane et sur la prise en charge par les secours d’une situation vite devenue apocalyptique. On lira donc avec un grand plaisir cette histoire dans laquelle la mort est sans cesse présente – victimes du tueur recherché par le FBI, victimes de malfrats séquestrant des jeunes filles au plus profond des marais, victimes innombrables de Katrina, sans oublier la mort qui rôde autour d’Amaia depuis sa naissance ou les menaces qui pèsent sur Dupree – en restant admiratif devant la constance des agents du FBI à empêcher un assassin de frapper à nouveau alors que sévit un ouragan qui sème la désolation et le chaos et qui fera finalement plus de 1 800 morts.
La face nord du cœur, trad. fr. de La cara norte del corazón (2019), Paris, Gallimard, coll. « Série noire », 2021.