Deux auteurs, deux parties, deux récits qui se complètent dans le dernier roman de Jean-Bernard Pouy et Marc Villard qui raconte les aventures ou plutôt les mésaventures d’une famille décomposée. Dès le début, Clotilde, dite Cloclo, une Zazie de douze ans en plus espiègle, inspirée par les Femen, est arrêtée in extremis au Musée d’Orsay avant qu’elle ne commette l’irréparable sur Le déjeuner sur l’herbe. Véro, la mère est partie loin depuis longtemps, et papounet, peintre à ses heures, a un peu de mal avec sa préado rebelle. Donc, direction la Bretagne pendant les vacances scolaires, en train, car on sait que Pouy aime les trains et que ses personnages les empruntent avec plaisir (cf. Samedi 14) et aussi parce que le père a choisi la gare « désinfectée » » de Coat-Plougonnec comme résidence secondaire. Le calme assuré, sauf que des cheminots défendant les petites lignes de chemin de fer (on approuve) viennent d’y faire un arrêt prolongé. La suite sera assez agitée, entre luttes sociales et convivialité bien arrosée, et se terminera à l’hôpital.
Dans la seconde partie, Marc Villard revient en arrière pour raconter le départ du foyer familial et la vie chaotique de Véro, la mère (pas si noire, finalement) de Clotilde, en rupture de famille et de société. Entre petits boulots, grosse connerie, dépression et petite délinquance, sa vie de galère ne l’empêche pas de garder un sacré moral qu’elle entretient par la lecture d’auteurs choisis (Char, Venaille, Brautigan) et la poésie. Véro a en plus de la gentillesse à revendre et de l’empathie pour ceux qui sont plus bas qu’elle. Alors elle se démène, dans l’institution qui l’a recueillie ou au SAMU social. Jusqu’au jour où les décisions importantes ne peuvent plus attendre.
Deux parties et deux écritures. Pour Jean-Bernard Pouy, style décontracté, très oral, jeux de mots (le titre, « L’art me ment », donne le ton, double narration alternée par Clotilde et son père pour le rythme. Dans « Véro », le récit de Marc Villard est plus sobre, plus direct. On parle de choses sérieuses, dures, et il y a peu de place pour les fioritures. Côté idées, on est dans le social tout au long du roman, dans le quotidien de ceux qui se battent pour que le monde conserve un peu d’humanité et de poésie et de ceux qui essaient tout simplement de na pas sombrer. Au milieu de tout cela, il y a une petite fille qui a des idées de grande mais qui reste une petite fille, et qui fait (un peu à ses dépens) l’apprentissage des luttes et de la vie.
Certains s’interrogeront sur la publication de La mère noire dans la Série noire. Pas de crime ni d’enquête mais un roman d’initiation plutôt tendre. Clotilde, dont le but avoué dans la vie est « de faire chier le monde » (complexe de Zazie) est attachante, comme ses géniteurs, l’un avec ses interrogations, l’autre avec sa rébellion. A dire vrai, côté polar, on reste un peu sur sa faim. Mais l’on sait, comme l’écrit François Guerif dans Du polar (2016, que « le roman noir a la volonté de foutre le bordel, de braquer la lumière sur ce qui ne va pas. Le social est la première de ses préoccupations. ».
La mère noire, Paris, Gallimard, coll Série noire, 2021.