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Si l’on garde à l'esprit la différence entre les romans d’espionnage « sérieux (Graham Greene, John Le Carré, Pierre Nord…) et les romans d’espionnages « fantaisistes » (Jean Bruce, Paul Kenny, Claude Rank…) Retour de service figure bien évidemment dans la première catégorie. Dans le roman « fantaisiste », qui connut son apogée pendant la guerre froide, tout semble facile, les bons luttent contre les méchants, subissent quelques déconvenues mais trouvent aussi des compensations, prennent des coups mais gagnent à la fin. Chez John Le Carré, auteur de vingt-cinq romans, c’est plus compliqué. Difficile de savoir qui ment et qui dit la vérité, et de faire le tri entre agents, agents doubles, voir triples, en fait tous agents « troubles ». Pas facile non plus de savoir qui gagne à la fin. Personne peut-être.

Nat est un quinquagénaire au service de la Couronne qui a pas mal donné comme agent à Moscou et dans quelques pays de l’ex-bloc soviétique. De retour à Londres, il aspire à vivre plus pleinement avec Prue, son épouse, avocate qui combat le pouvoir sans limites des multinationales, et à gérer une fille fantasque. Ce que devrait faciliter un nouveau poste tranquille qui ressemble fort à une mise au placard. Heureusement, il y a le badminton, sport dans lequel Nat excelle et qui va être à l’origine d’une rencontre qui va bouleverser sa vie.

Ce qui s’ensuit est du vrai John Le Carré, c’est-à-dire la description précise du travail de très bons professionnels « à l’ancienne ». Pas de gadgets, si l’on excepte un ou deux portables cryptés, mais des planques, des filatures, des codes manuels, des boites aux lettre mortes et même un tube de rouge à lèvres évidé pour contenir une bandelette de papier … Ce modus operandi peut sembler dépassé mais il fonctionne et reste crédible : rien de plus hasardeux que de confier des formations ultraconfidentielles à un ordinateur, aussi sécurisé soit-il.

Tout un petit monde s’agite et s’observe dans Retour de service (le titre, loin de l’original Agent Running in the Field, résume bien les intérêts professionnels et sportifs de Nat, bravo encore une fois à la traductrice Isabelle Perrin), que ce soit les responsables de secteurs, les agents sous couverture diplomatique – étonnant le nombre d’attachés commerciaux et culturels qui font tout autre chose – et autres agents traitants. Entre enfumage, désinformation et coups fourrés, John Le Carré faut évoluer ses personnages vers un final surprenant et, genre oblige, inattendu.

Retour de service est un roman d’espionnage à visage humain, si l’on peut dire. Tous ces fonctionnaires des « services » ont une vie, des joies et des souffrances, des attentes et des déceptions et même des opinions politiques. Celles-ci sont très présentes, le roman, situé en 2018, n’éludant pas la question du Brexit et des menées anti-européennes des leaders américain et russe. On trouve ainsi beaucoup d’amertume et de désir d’en découdre chez Nat et son épouse bobo (« bourgeoise-bolchevique ») et surtout chez Ed, l’ambigu partenaire de badminton. Cela peut-il mener à la trahison ? On sait que certains sont passés un jour à l’ennemi par idéalisme, par intérêt, par ennui ou poussés par le chantage. Mais peut-on trahir par honte ?

« C’est peut-être ça, sa motivation : la honte. Tu y as pensé à ça ? L’humiliation nationale qui ruisselle et qu’on prend pour soi. Moi, j’y crois. » © Editions du seuil, 2010

C’est une des questions que pose cet excellent roman dans lequel John Le Carré, une fois de plus, apporte la preuve que, dans un monde où le cynisme domine, la morale et la loyauté peuvent avoir le dernier mot.

Tag(s) : #Londres
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