Dès les premières pages, lyriques (entre image d’Epinal et dépliant publicitaire) sur le retour à la vraie vie dans une Suède idéalisée (le couple n’a certainement pas encore connu l’hiver nordique), on sent que ça ne peut pas bien finir. L’intense bonheur affiché par Sam et Merry apparaît vite de façade et on se dit qu’il y a de la méthode Coué derrière tout cela. Ce qui est vite confirmé par des failles et les inévitables zones d’ombre du passé – « surtout ne pas regarder en arrière ». Merry se laisse progressivement aller, son bébé l’intéresse de moins en moins et on la sent glisser du côté de Desperate heousewives, Sam commence à mentir sur sa nouvelle activité de documentariste. Bref, tout fiche le camp et quand Franck, la meilleure amie de Merry depuis l’enfance, annonce son arrivée, on peut craindre le pire.
La vie dont nous rêvions appartient au genre des thrillers psychologiques. Entre une épouse fortement névrosée, son mari pervers narcissique et menteur (« Ce qu’elle ne sait pas ne peut pas lui faire de mal. »), volontiers tyran domestique, et l’amie de la famille, inévitablement sensuelle et vénéneuse, qui, comme le coucou, s’approprie le nid des autres, il y aurait donc matière à une analyse de la possession et de l’emprise. Idem pour les questions tournant autour de la maternité, souhaitée, refoulée, impossible, etc. Mais tout cela reste très superficiel (les allusions au passé des personnages sont à peine esquissées) et rappelle le roman-photo avec ses héroïnes et héros stéréotypés, surtout au niveau de l’image de la femme : « On y retrouve tous les types féminins culturels et littéraires : la femme éternelle, la séductrice, la mère, l'inaccessible, l'inspiratrice, la dominatrice, la femme fatale, la femme-objet... » (Larousse, Dictionnaire mondial des littératures).
Difficile donc de s’attacher aux personnages composant ce trio infernal, chacun étant à sa manière un monstre chez qui il n’y a rien à sauver. La relation entre Merry, une de ces « femmes en carton-pâte qui jouent à être mères » et Franck, une femme qui se veut libre et indépendante, est particulièrement toxique – « Chacune faisait ressortir le pire chez l’autre » –, bien que l’on ne sache pas quels événements de leur passé commun ont déterminé ce comportement. Chacune cherche à montrer qu’elle l’a emporté sur l’autre, personnellement et professionnellement. Le personnage de Sam est quant à lui parfaitement abject : menteur, tricheur, il ne cherche qu’à modeler les femmes qui l’entourent pour en faire ce qu’il veut qu’elles soient. Finalement, une fois l’intrigue policière laborieusement résolue, le pire est peut-être de savoir que tous s’en tirent plus ou moins indemnes et que les relations du triangle perdureront.
« Ce n’était pas entièrement un mensonge. Ce n’était pas entièrement la vérité. Est-ce-que ça change après tout ? La fusion des deux aboutit à une sorte de réalité. Une version qui ressemble approximativement aux faits. » © Belfond, 2019
Certains aimeront les courts chapitres dans lesquels chacun des trois protagonistes donne son point de vue. Malheureusement, cela sent l’atelier d’écriture, les personnages finissent vite par se ressembler et parler de la même manière – tous ne sont que des psychopathes cherchant à se justifier et à obtenir une gratification immédiate – et l’action, répétitive, s’étire interminablement. Même si, au niveau strict du roman policier, les derniers chapitres avec les différentes (fausses) pistes possibles qu’ils proposent, sont finalement plutôt réussis.