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Jeanne Ricoeur, jeune lieutenant de police, vient d’enterrer son père adoptif, lui-même ancien flic, l’occasion de revenir sur son enfance et sur quelques souvenirs comme le rituel du brossage des dents dont la durée est fixée par les grains qui coulent dans un petit sablier. On comprend donc, après une introduction de plus de 60 pages, qu’il va être question de mémoire et de temps qui passe. On apprend aussi que Jeanne a des difficultés à assumer son passé, ce qui lui vaut quelques insomnies et une tendance à avoir une bouteille de scotch à portée de main.

Alors qu’elle s’ennuie entre le travail administratif et la surveillance de petits dealers sur le marché d’Annecy, son patron la met sur sa première affaire : dans un établissement médical spécialisé dans les troubles liés à la perte de la mémoire immédiate, un patient a été retrouvé pendu dans une salle où se trouvaient réunis pour son anniversaire huit autres pensionnaires. Une mort en lieu clos avec huit témoins dont les souvenirs ne remontent pas à plus de dix minutes et qui vivent dans un éternel présent. Un beau thème à la Agatha Christie (qui a traité le genre dans un de ses meilleurs romans dont le titre vient d’être modifié au nom du politiquement correct) ou à la John Dickson Carr qui a consacré pour sa part plusieurs romans à des enquêtes sur les assassinats en chambre close ou plutôt, comme ici, aux crimes dont la réalisation paraît impossible.

Une fois arrivée dans cette clinique moderne perdue au milieu de forêts enneigées, et après de longues explications sur les troubles de la mémoire, nécessaires bien qu’un peu complexes, Jeanne se concentre sur les interrogatoires des huit témoins, des personnalités diminuées et quasiment en incapacité de mener une vie normale, suite à un accident (domestique ou de la circulation) ou à un problème médical de type AVC : un curé, une violoniste qui avait une liaison avec la victime, un boxeur raté, un prof cocu devenu clown pour enfants malades, un petit voyou, une grand-reporter traumatisée, un ancien trader et même un médecin reconverti en politique. Une diversité sociale, assez artificielle, qui brouille les pistes, passionnelles, politiques, criminelles... avant qu’une seconde mort violente et des menaces à l’égard de Jeanne ne compliquent les choses.

Au niveau de l’enquête, pimentée par la difficulté d’obtenir des témoignages fiables ou cohérents, le lieutenant Ricoeur s’en tire plutôt bien, même si certaines de ses déductions, plus intuitives que rationnelles, peuvent surprendre. On peut aussi ne pas être totalement convaincu par l’explication finale, le romancier laissant planer des incertitudes sur certains éléments de l’affaire et prenant quelques libertés avec les capacités cognitives et mémorielles de certains des acteurs. Même si l’on peut envisager après tout qu’une reconstruction et une réappropriation de la mémoire, même partielles, sont possibles.

A partir de la bonne idée d’un whodunit sur la base d’un crime impossible avec huit témoins amnésiques, Memory évolue lentement vers un thriller mou sans grand suspense, trop de clés étant fournies prématurément. On se doute alors que les choses ne finiront pas trop mal... Ce qu’un double happy end confirme. Le roman se lit quand même jusqu’à sa conclusion, sans grand enthousiasme toutefois. On ignore si Jeanne Ricoeur reviendra pour de nouvelles enquêtes, mais il faudra plus de nervosité et de cohérence pour en faire une héroïne récurrente convaincante.  

Arnaud Delalande, Memory, Paris, Cherche-midi, 2021.

Tag(s) : #Policiers, #Thriller
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