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Plusieurs romans de Georges Simenon ont pour cadre des petites villes de province, souvent en Vendée ou dans les Charentes. Dans Maigret à l’école, le commissaire enquête à titre officieux (en liaison avec le lieutenant de gendarmerie) dans un petit village de Charente-Maritime, Saint-André-sur-Mer (inspiré de Marsilly, où le romancier a souvent séjourné), à l’atmosphère pesante : tous les habitants se connaissent et sont plus ou moins cousins mais aucun n’accepte volontiers l’étranger, surtout quand il refuse d’entrer dans leur jeu et leurs intérêts. Et si un coupable doit être désigné, autant que ce soit « celui qui n’est pas d’ici ».

 

Léonie, la vieille commère du village, l’ancienne receveuse des postes peu regardante sur l’éthique professionnelle, détestée de tous, est retrouvée tuée d’une balle de carabine de calibre 22, arme utilisée par les gamins du village pour tirer les moineaux (nous sommes en 1953, époque laxiste sur la détention d'arme). Sur le témoignage d’un de ses élèves, l’instituteur, Joseph Gastin, est soupçonné (il n'est pas du village, lui) et s’enfuit à Paris pour demander l’aide de Maigret : « Parce que j’ai confiance en vous. Je sais que, si vous le  voulez, vous découvrirez la vérité. » Celui-ci le ramène à La Rochelle où il est incarcéré. Le commissaire peut commencer son enquête.

Vous êtes né à la campagne, je l’ai lu dans un magazine. Vous y avez passé la plus grande partie de votre jeunesse. Vous savez donc comment cela se passe dans un petit bourg. Saint-André ne compte que trois cent vingt habitants.

Georges Simenon - Maigret à l’école © Omnibus

Maigret à l’école est un bel exemple d’investigation à huis clos dans un environnement hostile. Si deux événements ayant eu lieu hors du village sont évoqués – l’aventure de Mme Gastin à Courbevoie et le passé de Thérèse, la servante de l’auberge, que Maigret a connue à Paris où elle se prostituait) – l'enquête est circonscrite à Saint-André et se concentre sur les entretiens et les interrogatoires que mène le commissaire auprès des témoins : l’instituteur (dans son bureau du quai des Orfèvres avant qu’il ne soit incarcéré et n’apparaisse plus dans le roman) ; sa femme, flétrie et vieillie avant l'âge ;  le lieutenant de gendarmerie chargé de l’enquête; trois élèves de l’école ; l’aubergiste plutôt bavard; le médecin qui l’est tout autant mais sait fort bien ce qu’il faut dire ou ne pas dire. Sans oublier l’adjoint au maire, dont le silence et le sourire narquois en disent long sur l’ambiance du village. Comme le résumera l’aubergiste lors du départ de Maigret : « Vous devez vous faire une frôle d’idée du pays ? »

 

Parmi ceux-ci, les enfants jouent un rôle à part en tant que seuls témoins de l’événement : Jean-Paul Gastin (qui n’a pas de camarades parce qu’il est « le fils du maître d’école »), le fils du ferblantier, Marcel (qui va se confesser chaque fois qu’il a dit un mensonge !), enfin le fils du boucher, Joseph (immobilisé dans sa chambre par une fracture, on pense à Fenêtre sur cour d’Hitchcock). Si Maigret donne l’impression d’être mal à l’aise en commençant chaque interrogatoire – ces gamins, en plus d'être un peu menteurs, sont eux aussi des « témoins récalcitrants » – il sait très vite se mettre à leur diapason et les amener à en dire plus qu’ils ne le souhaitaient au départ. Ces tête-à-tête, mais aussi l’environnement - la classe et la cour de l’école, l’église, les boutiques tristes - vont faire remonter chez Maigret des souvenirs de sa propre enfance passée dans un village semblable, où le fils du régisseur du domaine était mal vu des enfants des métayers : « C’était à croire que les habitants des villages de France sont interchangeables. »

A votre santé ! Ils vont tous essayer de vous mettre des bâtons dans les roues. Ne croyez rien de ce qu’ils vous diront, que ce soit les parents ou les enfants. Venez me trouver quand vous voudrez et je ferai l’impossible pour vous donner un coup de main.

Georges Simenon - Maigret à l’école © Omnibus

A la fin du roman, une fois l’affaire résolue, Maigret fuit littéralement Saint-André et son atmosphère délétère pour retrouver Paris et ses lumières, Mme Maigret et leurs sorties au cinéma. Peut-être, « regretteur d’hier » (belle formule de Michel Carly) fuit-il aussi les souvenirs de son enfance perdue. Mais au bout de le la nuit et du chemin de fer, c’est Paris qui importe pour lui, la ville où l’on peut être anonyme et où il peut exercer son métier loin du regard des autres. Et ces retrouvailles commencent symboliquement par l’achat à la gare de La Rochelle d’une « poignée de journaux de Paris ». 

Maigret à l’école est un grand roman (très sombre) sur la déception et la frustration des principaux protagonistes : l’instituteur, contraint de quitter Paris pour un village hostile suite à un scandale auquel a été mêlé sa femme, minée depuis par la tristesse et le remord ; le boucher, qui échoue dans toutes ses entreprises et sombre dans l'alcool et la maladie ; Marcel et Jean-Paul, les bons élèves qui ne peuvent être amis et dont les qualités scolaires ne sont pas évaluées à leur réelle valeur parce que l’un est le fils du maître d’école. Même Maigret, arrivé au pays des parcs à huîtres et des bouchots à la saison de la morte-eau, qui devra renoncer à ses envies de coquillages…

 

Tag(s) : #Maigret, #Policiers
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