Quatre bonnes raisons de lire ou de relire Maigret et la jeune morte :
1 - Simenon y revient en détail sur le personnage de l’Inspecteur Lognon, déjà évoqué dans Maigret Lognon et les gangsters et la nouvelle Maigret et l’inspecteur malgracieux. Il suit le même schéma de départ : Lognon se rend sur les lieux d’un crime commis dans son secteur mais c’est Maigret qui se charge parallèlement de l’enquête. Comme dans la nouvelle, le roman commence par une évocation des appels à Police-secours avant de s’attarder sur un portrait de l’inspecteur : caractère, habillement, logement, épouse… Comme si Simenon, depuis le lointain Connecticut, voulait revenir sur un personnage récurrent de son œuvre : un homme un peu ridicule dans son comportement, mal dans sa peau mais attachant. Qui plus est l’un des meilleurs inspecteurs de la PJ, apprécié du commissaire : « C’est dommage. Non seulement il était intelligent, mais c’était un des hommes les plus consciencieux de la police métropolitaine. » Simenon met par ailleurs en opposition les méthodes des deux policiers, qui se retrouvent souvent sur les mêmes lieux clés de l’enquête tout en n'ayant pas suivi le même chemin.
2 - Maigret et la jeune morte est un roman de procédure, anticipant ce que connaîtront les lecteurs plus tard avec McBain, Mankell et d’autres. L’enquête sur la jeune inconnue, retrouvée morte sur une place du quartier Saint-Georges (1), mobilise le commissaire et ses inspecteurs : interrogatoires de proximité – avec les inévitables concierges (2) -, mise à contribution des collègues de la mondaine et du commissariat de Nice (et même du FBI), analyse scientifique des indices, recherches auprès des témoins (logeuse, commerçants, cafés…). Tout cela va permettre à Maigret de se faire une idée de l’apparence de la victime avant sa mort et de comprendre qui elle est réellement : « ... aucun cours dans la police n'apprend à se mettre dans la peau d'une jeune fille, élevée à Nice, par une mère à moitié folle. »
3 - Résultat de ce qui précède, Maigret, sensible à tous les détails et secondé par son équipe au complet, reconstitue patiemment et à petites touches la vie de Louise ainsi que sa personnalité (« …une image commençait à se dessiner, qui restait encore assez schématique »). Il apprendra ainsi à connaître la jeune femme, reconstituera son parcours et confondra les coupables. Parallèlement, Lognon enquête sans ménager sa peine (« en mettant toutes ces allées et venues bout à bout, cela représentait un nombre impressionnant de kilomètres. ») dans un quartier qu’il connaît parfaitement (puis dans Paris et même jusqu’à Bruxelles…) mais obtient peu de résultats car le travail de terrain importe moins dans cette enquête que l’analyse du comportement de la jeune fille à laquelle se livre Maigret.
4 - Le roman met en opposition les espaces ouverts (rues et squares) et fermés (boutiques, loges, bars, appartements) comme le montre l’excellente analyse de Dominique Meyer‑Bolzinger dans Les itinéraires parisiens du commissaire Maigret, paru dans Géographie et culture en 2007 : « Dans Maigret et la jeune morte, cette bipartition spatiale est renforcée d’une répartition sexuée. Aux hommes les espaces ouverts, le mouvement, l’extérieur ; aux femmes les espaces clos, l’immobilité, l’intérieur. D’un côté Maigret et ses inspecteurs qui arpentent le quartier à la recherche d’informations, les chauffeurs de taxi, et le père escroc revenu d’Amérique ; de l’autre la logeuse, la concierge et la standardiste, fonctionnellement recluses, mais aussi Mme Maigret dans son appartement, Irène dans sa boutique, et la pension de vieilles femmes à Nice. »
Maigret et la jeune morte raconte une histoire simple de tentative d’escroquerie qui tourne mal. Un roman qui pourrait être secondaire dans la série des Maigret mais qui prend tout son intérêt si l’on garde à l’esprit ce qui précède. Un roman attachant par l’empathie que Maigret va ressentir pour la jeune morte, cette Louise vue pour la première fois allongée sur un trottoir parisien et dont il va peu à peu reconstituer la personnalité et le parcours.
- Louise est retrouvée morte place Vintimille, aujourd’hui place Adolphe-Max. Il est surprenant que Simenon ait conservé cette appellation car le changement de nom date de 1940 alors que le roman est censé se situer après la guerre.
- La concierge (surnommée pipelette ou bignole), personnage éminemment parisien, joue un grand rôle dans les romans de Simenon (et d'autres, Léo Malet par exemple). Souvent peu aimable voire acariâtre, parfois avenante et jolie – Maigret et la jeune morte propose les deux types – elle fournit une multitude de renseignements sur les habitants de l’immeuble où elle travaille, leurs habitudes, leurs fréquentations… Devenue gardienne d’immeuble, sa fonction a changé : les boites aux lettres ont remplacé la distribution du courrier, les digicodes et les interphones lui évitent d’ouvrir aujourd’hui la porte aux occupants et à leurs visiteurs (« Cordon s’il vous plait !), des sociétés spécialisées se chargent du nettoyage (la concierge n’est plus dans l’escalier) et le paiement du loyer (le terme) se fait par chèque ou virement… Les immeubles deviennent plus anonymes, la concierge, gardienne de la moralité de l’immeuble, ne surveille plus les occupants et les informations sont plus rares...
On aurait pu croire qu’il était de mauvaise humeur, mais ceux qui le connaissaient savaient que ce n’était pas le cas. Seulement, il était partout à la fois, dans l’appartement de la veuve de la rue de Clichy, chez la marchande de robes de la rue de Douai, sur le banc de la place de la Trinité, à Nice maintenant, à imaginer une gamine chez une marchande de poissons.