Période bien amère pour le commissaire dans ce roman qui fait suite à Maigret et les témoins récalcitrants. Maigret, face à un monde qui change, confronté une fois de plus aux certitudes et aux a priori d’une classe sociale, se pose des questions. Au cours de la longue et fascinante conversation (difficile de parler d’interrogatoire) qu’il a dans les premiers chapitres avec Adrien Josset, alors que l’épouse de celui-ci vient d’être assassinée, le commissaire est saisi par le doute : tout accuse Josset mais il n’arrive pas le sentir coupable. Les chapitres qui suivent vont revenir sur ses efforts pour cerner la personnalité et comprendre les motivations de l’humble pharmacien sans fortune devenu riche grâce à sa femme, considéré quand tout lui réussit, mais traité comme un parvenu dès qu’un événement dramatique surgit. Maigret peut bien douter mais, pour ceux qui se considèrent au-dessus de Josset, il est le coupable idéal.
Le récit de l’affaire est une « confidence » de Maigret à son ami, le docteur Pardon, plusieurs années après les faits : persuadé de l’innocence de Josset, il raconte son enquête avec amertume et revient sur un des « cas de conscience » qui l’a le plus perturbé au cours de sa carrière : comment un policier qui recherche la vérité, qui doit fournir aux juges et aux jurés les éléments qui leur permettront de se faire une opinion, pourrait-il ne pas avoir de doutes, et même ne pas se forger « une intime conviction », celle qui, dans les premières œuvres, avait conduit Maigret à prendre le risque de faire évader légalement un condamné à mort pour mieux confondre les véritables coupables (La tête d’un homme, 1931).
C’est dans l’analyse des milieux sociaux et dans les relations entre ceux qui les composent qu’il en trouve les raisons. Adrien Josset tout d’abord, qui, pour certains, dont le juge Corneliau, figure typique du robin héréditaire (l’affaire qui est évoquée est ancienne, ce qui explique la présence de « l’ennemi intime » de Maigret, à la retraite lors du précédent roman) n’est qu’un parvenu, étranger à son monde et donc forcément coupable ! A l’opposé de l’échelle sociale, le père d’Annette, la maîtresse du pharmacien, est un petit fonctionnaire anonyme et docile, incapable de survivre à ce qu’il considère comme une honte et un déshonneur.
Et Maigret dans tout cela, qui ne vient pas du même milieu que celui du juge Corneliau et dont on sait les origines modestes ? Certes, il a évolué socialement, il a gravi les échelons. Le fils du régisseur du château de Saint-Fiacre est commissaire divisionnaire quand il raconte cette enquête à Pardon et il lui sera plus tard proposé de devenir directeur de la police. Mais ses différentes promotions n’ont en rien changé sa vision du monde. Maigret sait d’où il vient, n’en a aucune honte, et se sent toujours proche des humbles et des petites gens. Lui qui ne sera jamais un parvenu sait que Josset n’en est pas un. Ce n’est qu'un être veule, fuyant, incapable de faire face à ses responsabilités personnelles (quitter sa femme) qui a gardé de ses années de vache maigre la nostalgie d’une vie simple (ses dîners avec Annette dans l’appartement aux géraniums à la fenêtre) et qui, finalement, comme le père d’Annette, cherche une échappatoire honorable devant l’adversité.
Maigret y avait pensé. L’idée lui était venue, dès le début, de se renseigner sur la vie privée de la victime et sur son entourage.
Jusqu’ici, il s’était heurté à un mur. Et c’était encore, comme dans le cas de Corneliau, une question de classe, voire de caste.
Christine Josset évoluait dans un monde plus limité que le magistrat, une poignée de personnalités dont on lit le nom dans les journaux, dont on relate les faits et gestes, au sujet desquelles on publie des échos fantaisistes, mais sur qui, en réalité, le grand public ignore presque tout.
On comprend donc que, face à un Corneliau pour qui Josset fait un un coupable parfait, par convenance de classe mais aussi par facilité, les relations soient tendues et même envenimées par la place de plus en plus importante que les juges d’instruction prennent dans les enquêtes. Les temps et les pratiques changent, mais Maigret demeure, fidèle à ses origines, à ses convictions et à sa méthode. Solide, plébéien, bougon, il résiste.
Ecrit après Maigret et les témoins récalcitrants, Une confidence de Maigret reste dans cette tonalité très sombre que vient renforcer l’idée que rien n’est plus pareil. Maigret aux assises, qui leur fait suite, ne déparera pas, avec un Maigret de plus en plus las. Peut-être faut-il voir dans cette noirceur une conséquence des problèmes familiaux et de santé que connait Georges Simenon au moment de la rédaction, les symptômes d’une dépression fin 1959 et début 1960 qu’évoque Pierre Assouline dans sa biographie.