Dans la ignée de Maigret et les témoins récalcitrants et d'Une confidence de Maigret, Maigret aux assises est marqué par une grande lassitude du commissaire. Les problèmes des autres semblent moins le concerner et les allusions à sa retraite à Meung-sur-Loire sont de plus en plus fréquentes. Qui plus est, témoigner en cour d’assises n’est pas ce qui l’enchante le plus dans son métier.
Maigret aux assises se divise en deux parties, deux enquêtes étroitement liées mais distinctes dans la forme : une première, en gros la moitié des chapitres, dans lequel nous voyons Maigret témoignant aux assises (enquête rapportée), témoignage capital puisqu’il mènera à l’acquittement de Gaston Meurant dans une sordide affaire d’assassinat d’une vieille dame, tante de l’accusé, et de sa jeune pensionnaire. Cette décision du tribunal va permettre à l’enquête de rebondir et à Maigret de découvrir finalement la vérité (enquête en temps réel). Deux lieux distincts (le tribunal et la ville), deux séquences temporelles (avant et après le tribunal), deux mondes, les méchants et les justes, deux formes de justice...
Simenon quitte l’ambiance bourgeoise et mondaine des deux précédents romans pour une histoire de droit commun, sordide, impliquant des gens simples (ce qui ne veut pas dire pauvres), des artisans et des petits rentiers, bref ces « gens de tous les jours » que croise régulièrement le commissaire. A qui il faut ajouter quelques truands à la petite semaine. De quoi composer autour d’un assassinat crapuleux une galerie de personnages sans moralité, abjects, que seul guide l’appât du gain. Seul le coupable présumé et blanchi par la justice en sortira grandi d’une certaine façon même s’il devra aller jusqu’au bout de son désir de vengeance pour laver un honneur doublement bafoué. « C’est fini. » dira Meurant, qui n’était pas au départ le « méchant » que l’on croyait mais qui finira presque par le devenir.
Le président avait une aussi longue expérience que lui, plus longue même, des affaires criminelles. (…) Il avait vu défiler, dans le box des accusés et à la barre, des hommes et des femmes de toutes sortes.
Ses contacts avec la vie, pourtant, ne restaient-ils pas théoriques ? Il n’ »tait pas allé, lui, dans l’atelier de la rue de la Roquette, ni dans l’étrange appartement du boulevard de Charonne. Il ne connaissait pas le grouillement de ces immeubles-là, ni celui des rues populeuses, des bistrots, des bals de quartier.
On lui amenait des accusés entre deux gendarmes, et, ce qu’il connaissait d’eux, il l’avait découvert dans les pages d’un dossier.
Des faits, Des phrases. Des mots. Mais autour ?
Les assesseurs étaient dans le même cas. L’avocat général aussi. La dignité même de leurs fonctions les isolait du reste du monde dans lequel ils formaient un îlot à part.
Simenon décrit brillamment l’atmosphère des assises, vite oppressante pour Maigret qui est persuadé que l’appareil judiciaire fausse et dévoie la personnalité de ceux qui y sont confrontés. Le tribunal devient ainsi un lieu de sacrifice où chacun joue son rôle comme « les officiants d’une cérémonie aussi ancienne et rituelle que la messe », où l’huissier marche « à pas de sacristain » et le président « achève son répons » et où la salle d’attente des témoins est comparée à une sacristie. Ceux que l’on juge ne sont plus les êtres de chair et de sang que la police a filés, arrêtés, interrogés et confondus mais des hommes « schématisés », « désincarnés » : « L’affaire n’est dessinée qu’en quelques traits, les personnages ne sont plus que des esquisses, sinon des caricatures… ». Maigret est bien loin du travail de terrain qu’il affectionne.
Mais rendre sa propre justice n’est pas non plus une solution et le commissaire n’aura pas le même succès que dans La tête d’un homme. Et c’est un Maigret bien las, que l’achat de sa maison des bords de Loire ne parvient même pas à rendre heureux, qui, à la fin du roman, aura l’impression d’avoir vécu un cauchemar.